Les avantages et les inconvénients de l’énergie nucléaire : une question de clairvoyance ou d’inconscience ?
Depuis quelques semaines, un groupe de scientifiques a appelé à arrêter tout nouveau programme nucléaire en France. Certains se demandent si ces scientifiques sont irresponsables ou s’ils ont une vision claire de la situation. Le dernier rapport du Giec souligne la nécessité de réduire drastiquement nos émissions de CO2 pour lutter contre le réchauffement climatique. Le nucléaire est considéré comme une source d’électricité à faible émission de carbone, mais certains estiment que la question de l’énergie devrait être abordée de manière plus large que simplement à travers le prisme du nucléaire. Jean-Marie Brom, directeur de recherches en physique des particules, fait partie des scientifiques qui ont lancé cet appel et est un opposant de longue date au programme nucléaire français.
Une demande croissante en électricité à prévoir
Il est important de souligner que l’énergie nucléaire peut également être utilisée à d’autres fins, telle que la production de chaleur ou d’hydrogène à faible teneur en carbone. Cependant, nous avons souvent tendance à confondre le mix énergétique avec le mix électrique. En effet, l’électricité ne représente qu’environ 20% de la consommation d’énergie dans le monde, bien que cette part soit en augmentation. Il y a 40 ans à peine, elle ne représentait qu’un peu plus de 10%. Les experts estiment qu’elle continuera à augmenter en raison de la croissance de la population et du développement économique, notamment grâce à l’électrification des usages, qui est l’un des principaux leviers de notre transition énergétique.
Le dernier rapport du Giec mentionne ainsi qu’à l’horizon 2050, l’électricité devrait représenter environ 50% du mix énergétique mondial. Il est donc légitime de s’inquiéter de la manière dont nous allons produire cette électricité, d’autant plus que le secteur de la production d’électricité est actuellement le plus grand émetteur de CO2 dans le monde, dépassant les émissions des transports et de l’industrie. La France se distingue dans ce domaine, notamment grâce à son parc nucléaire.
Selon le Giec, l’énergie nucléaire fait bel et bien partie des « options d’atténuation » du changement climatique. Les experts soulignent en effet qu’il est peu probable que tous les systèmes bas-carbone dans le monde se basent exclusivement sur des sources d’énergie renouvelables. Dans les pays déjà équipés de centrales nucléaires, la prolongation de la durée de vie de ces installations existantes apparaît comme un moyen efficace et économique de décarboner la production d’électricité. Dans les 30 prochaines années, de nouveaux concepts de réacteurs ou des SMR (petits réacteurs modulaires) pourraient également contribuer à cette transition énergétique, comme le prévoit le nouveau programme nucléaire français.
L’énergie nucléaire, une solution temporaire ?
L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) estime que l’énergie nucléaire peut jouer un rôle important dans la transition vers des systèmes énergétiques à faibles émissions. Selon leurs experts, construire des systèmes énergétiques durables et propres serait plus difficile, risqué et coûteux sans le nucléaire. Par conséquent, l’AIE appelle à doubler la production d’énergie nucléaire d’ici 2050. Cependant, cela représenterait seulement 8% du mix énergétique mondial. De plus, l’Union européenne a également reconnu récemment le rôle du nucléaire dans la lutte contre le changement climatique. Bien que cela ait été mentionné de manière indirecte, l’UE a souligné que les sources d’énergie sans combustibles fossiles, autres que les énergies renouvelables, peuvent contribuer à atteindre les objectifs de neutralité climatique d’ici 2050.
Les problèmes posés par les résidus radioactifs du nucléaire
Pourquoi alors certains scientifiques français sont-ils toujours aussi opposés à l’idée de lancer un nouveau programme nucléaire dans notre pays ? Selon Jean-Marie Brom, membre du Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Énergie Nucléaire (GSIEN) et de Global Chance, deux mouvements de scientifiques critiques vis-à-vis du nucléaire, rien n’a progressé depuis l’appel des 400 lancé en 1975, qui rejetait déjà l’installation de centrales nucléaires. Les principales préoccupations portent sur la gestion des déchets et la sécurité.
Ludovic Dupin, directeur de l’information de la Société française de l’énergie nucléaire (Sfen), explique que la bataille de l’image des déchets nucléaires est perdue pour l’instant. Il affirme qu’il n’y a actuellement aucun déchet nucléaire en contact avec la biosphère, mais que les citoyens sont convaincus du contraire. En France, les déchets nucléaires dangereux ne représentent pas plus de 5g par an et par habitant, un chiffre à mettre en perspective avec les déchets dangereux en général qui s’élèvent à plus de 150 000g par habitant en 2020 selon le gouvernement. Cependant, Jean-Marie Brom estime que l’impact des déchets nucléaires est sans commune mesure, même si l’on ne prend pas en compte les matériaux radioactifs issus de la filière. Il faut envisager cet impact sur le long terme, voire le très long terme.
Parmi les déchets dangereux, il y a des polluants considérés comme éternels, reconnus pour leur toxicité extrême et qui pourraient persister dans l’environnement pendant des milliers d’années, selon les scientifiques. Une enquête récente révèle qu’il y a plus de 17 000 sites contaminés en Europe, dont plus de 2 100 présentent une concentration dangereuse pour la santé humaine.
La sécurité des réacteurs nucléaires, un défi qui ne peut être négligé
Le nucléaire est une technologie qui suscite de nombreuses interrogations en matière de sécurité. Les accidents de Tchernobyl et Fukushima ont marqué les esprits, mais il est important de noter que la filière nucléaire a tiré des enseignements de ces événements tragiques. Aujourd’hui, les réacteurs sont conçus pour être extrêmement sûrs.
Il est vrai que le nucléaire ne peut jamais être totalement sûr à 100%, mais cela est également vrai pour toute technologie. Les conséquences d’un accident nucléaire sont cependant bien plus graves que celles d’un accident industriel classique. Les zones touchées par Tchernobyl et Fukushima sont toujours inhabitables. Néanmoins, certaines personnes reviennent peu à peu dans la province de Fukushima.
Il est important de noter que l’accident de Fukushima n’a pas eu de conséquences significatives liées aux retombées radioactives, selon le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). Les bilans officiels ne comptent qu’un seul décès dû aux radiations, alors que le tsunami et le séisme ont causé environ 20 000 décès. Cependant, certains estiment que les conséquences d’un accident nucléaire ne peuvent pas se réduire à un nombre limité de morts officiels.
La situation en Ukraine est également préoccupante. La centrale nucléaire de Zaporijia est considérée comme vulnérable et menace l’Europe entière, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Malgré les attaques répétées, aucun accident nucléaire n’a encore eu lieu, grâce au bon fonctionnement des systèmes de secours.
En comparaison, la centrale hydroélectrique de Kakhovka a été gravement endommagée par des charges explosives, provoquant une inondation et des pollutions. Cela a eu des conséquences néfastes sur les populations et la biodiversité de la région. En revanche, du côté de la centrale nucléaire de Zaporijia, aucune conséquence dramatique n’a été observée. Elle continue à fonctionner normalement grâce à des réservoirs d’eau présents sur le site.
Il est donc important de prendre en compte les avantages et les inconvénients de l’énergie nucléaire de manière objective, en tenant compte des risques potentiels mais aussi des mesures de sécurité mises en place pour prévenir les accidents.
Le nucléaire : une décision prise collectivement
Les personnes qui ont lancé l’appel contre le nouveau programme nucléaire français soulèvent plusieurs problèmes, dont le manque de démocratie. Ils demandent un débat public éclairé sur le programme des nouveaux réacteurs et le projet de deux réacteurs EPR2 à Penly. Cependant, un débat public sur ce sujet a déjà eu lieu récemment, bien que certains estiment qu’il n’a pas été mené à son terme. Selon eux, le gouvernement a interrompu le débat parce qu’il ne le jugeait pas utile. Pourtant, la présidente de la Commission nationale du débat public a déclaré que le débat public n’a pas été interrompu et que de nombreux citoyens y ont participé. Certains estiment que les décisions sur le nucléaire sont prises de manière plus démocratique qu’auparavant, avec des débats publics et une participation citoyenne.
Les scientifiques qui ont lancé cet appel demandent un débat éclairé et un moratoire sur la construction nucléaire en signe de bonne volonté de la part du gouvernement. Ils souhaitent un débat où les citoyens seraient formés et auraient accès à tous les experts qu’ils souhaitent consulter, comme cela a été fait pour le projet de centre de stockage réversible profond de déchets radioactifs à Bure.
Le Giec confirme que l’acceptabilité sociale est un enjeu important qui limite le déploiement de l’énergie nucléaire dans de nombreux pays en raison des risques d’accidents et de la gestion des déchets radioactifs. L’AIE ne fait pas de recommandations aux pays qui choisissent de ne pas utiliser l’énergie nucléaire, mais elle constate que dans de nombreux pays développés, le nucléaire est de moins en moins considéré comme une ressource énergétique. Il est regrettable que la France prenne la direction opposée, alors que plus de 70% de l’électricité produite dans le pays provient de l’énergie nucléaire, contre moins de 10% dans le reste du monde.
La France, unique en son genre ?
Selon l’AIE, il y a actuellement environ 70 projets de SMR en cours dans le monde. De plus en plus de pays intègrent l’énergie nucléaire dans leurs stratégies énergétiques, avec 19 pays qui ont actuellement des réacteurs en construction. Cependant, l’avenir de l’énergie nucléaire dépendra de politiques gouvernementales solides pour assurer la sécurité et la durabilité des centrales. Des problèmes de coûts et de retards de construction ont entravé le développement de nouvelles centrales dans les économies avancées.
Certains experts estiment que le nucléaire n’est pas la meilleure option pour faire face à la crise climatique. Ils préfèrent se concentrer sur les énergies renouvelables ainsi que sur l’efficacité énergétique. Des scénarios 100% renouvelables sont en cours d’étude, mais ils comportent des risques et nécessitent un déploiement rapide. De plus, ils pourraient entraîner une dépendance accrue envers les pays moins développés pour les matières premières nécessaires. Il est également souligné que la sobriété énergétique est nécessaire pour faire face aux enjeux climatiques.
Il est important de ne pas opposer systématiquement le nucléaire et les énergies renouvelables dans la lutte contre le changement climatique. En 2022, la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique de la France était de 21%, légèrement au-dessus de celle de l’Allemagne, avec des émissions de gaz à effet de serre par habitant bien inférieures. Il est essentiel de maximiser les options à faible émission de carbone pour faire face à l’urgence climatique.